Définition de CRUEL, ELLE
Prononciation : kru-èl, è-l'
DÉFINITIONS
1
Qui aime à infliger des souffrances, la mort. Un tyran cruel. Le cruel Henri VIII fit périr plusieurs de ses femmes.Valérien ne fut cruel qu'aux chrétiens
de Jacques-Bénigne BOSSUET dans Hist. I, 10
J'ai mendié la mort chez des peuples cruels
de Jean RACINE dans Andr. II, 2
Mes inhumaines soeurs sont d'autant plus cruelles, Qu'elles le sont par piété
de LAMOTTE dans Odes, t. I, p. 500, dans POUGENS
Perfide par instinct et cruel par penchant, Son âme est un enfer et sa vie un long crime
de MASSON dans Helvét. II
Dans cette guerre à mort, leur donner la vie [aux prisonniers], c'eût été se sacrifier soi-même ; on fut cruel par nécessité ; le mal venait de s'être jeté dans une si terrible alternative
de Philippe de SÉGUR dans Hist. de Nap. IX, 8
Les plus cruels ennemis, les ennemis les plus acharnés.
Il se dit de quelques animaux. Le tigre est un animal cruel.
2
Qui a un caractère de cruauté, en parlant des choses. Un ordre cruel. Une politique cruelle et ambitieuse.Une guerre cruelle, sanglante, acharnée Cruelle bataille
de Jean RACINE dans Théb. III, 4
On fit une cruelle boucherie de ces brigands
Loin de ces lieux cruels précipitez vos pas
de Jean RACINE dans Iphig. IV, 10
Je suis persuadé plus que jamais de l'innocence des Calas et de la cruelle bonne foi du parlement de Toulouse
Une guerre longue et cruelle, inutile à l'Autriche, funeste à la France, profitable aux seuls Anglais, et glorieuse au seul roi de Prusse, qui, après l'avoir soutenue pendant sept ans contre la moitié de l'Europe, l'a terminée sans perdre un village
de Jean Le Rond D'ALEMBERT dans Éloges, milord Maréchal.
Ses expériences n'avaient pu être faites sans assujettir un grand nombre d'animaux à des douleurs cruelles ; et c'eût été acheter bien cher une vérité inutile ; M. de Haller le sentait
de Marie-Jean Antoine Caritat, marquis de CONDORCET dans Haller.
3
Dur, sévère, rigoureux, en parlant des personnes et des choses. Père, tuteur cruel. Une peine cruelle. Des devoirs cruels à remplir.C'est cette vertu même à nos désirs cruelle, Que vous louez encore en blasphémant contre elle
de Pierre CORNEILLE dans Poly. II, 2
Les dieux depuis longtemps me sont cruels et sourds
de Jean RACINE dans Iphig. II, 2
Hélas ! fus-je jamais si cruel que vous l'êtes
de ID. dans Andr. I, 4
Tous deux haïs du peuple, et tous deux admirés ; Enfin, par leurs efforts ou par leur industrie, Utiles à leurs rois, cruels à la patrie
Ses parents, à la fois jacobites et catholiques, étaient opprimés, à ce dernier titre, sous des lois cruelles, indignes de la sagesse et de l'humanité des lois anglaises, mais qu'une fausse politique avait crues nécessaires dans le siècle dernier
de Marie-Jean Antoine Caritat, marquis de CONDORCET dans d'Arci.
4
Douloureux, fâcheux. C'est une chose cruelle que d'être abandonné de ses amis.Quels reproches cruels ne nous ferons-nous pas ?
de Pierre CORNEILLE dans Sertor. II, 2
Je dois vous annoncer, Léandre, une nouvelle, Mais la trouverez-vous agréable ou cruelle ?
Le ciel eut pour ses voeux une bonté cruelle
de Jean de LA FONTAINE dans Fabl. VII, 17
C'est une cruelle chose que de mettre sa vie entre les mains d'un médecin, qui croit fermement qu'il va prendre possession d'une souveraineté en Italie
de Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SÉVIGNÉ dans t. X, lett. 1012, dans POUGENS
Ce ne peut être que cette seule curiosité qui vous ait fait faire une si cruelle imprudence
de Marie-Madeleine Pioche de la Vergne, comtesse de la Fayette, dite Madame DE LA FAYETTE dans Princ. de Clèves, Oeuvres, t. II, p. 185, dans POUGENS.
Non, vous ne verrez pas cette fête cruelle
de Jean RACINE dans Baj. II, 5
Ah ! souvenir cruel
de Jean RACINE dans Andr. I, 4
Et ton nom paraîtra dans la race future Aux plus cruels tyrans une cruelle injure
de Jean RACINE dans Brit. V, 6
[C'est lui qui] Veut, la force à la main, m'attacher à son sort Par un hymen, pour moi, plus cruel que la mort
de Jean RACINE dans Mithr. I, 2
Mesdames [les soeurs du roi] savaient combien est cruelle pour ceux qui souffrent, la perte du médecin dont ils attendent la conservation de leur vie ou la fin de leurs douleurs
de Marie-Jean Antoine Caritat, marquis de CONDORCET dans Bourdelin.
Destin, sort cruel, destin, sort tout à fait contraire.
Que ma destinée est cruelle !
5
Insensible. Beauté cruelle.Et même en ce moment où ta bouche cruelle Vient si tranquillement m'annoncer le trépas
de Jean RACINE dans Andr. IV, 5
Avec quels yeux cruels sa rigueur obstinée Vous laissait à ses pieds peu s'en faut prosternée !
de Jean RACINE dans Phèd. III, 1
Eh ! comment font tant de jeunes filles qui, pendant des mois entiers, résistent à leur penchant, cachent leur amour, et paraissent non-seulement insensibles, mais encore cruelles à un amant qui leur plaît ?
de SAINT-FOIX dans Oracle, sc. 7
Dans le langage familier. Cette femme passe pour n'être pas cruelle, elle cède facilement à ceux qui la poursuivent.
6
Un cruel homme, un fâcheux, un ennuyeux personnage ; une cruelle femme, une femme bien insupportable.7
Nature : Substantivement.La mort a des rigueurs à nulle autre pareilles ; On a beau la prier ; La cruelle qu'elle est se bouche les oreilles, Et nous laisse crier
de François de MALHERBE dans VI, 18
Vous triomphez, cruelle, et bravez ma douleur
de Jean RACINE dans Iphig. II, 5
Un cruel (comment puis-je autrement l'appeler ?) Par la main de Calchas s'en va vous immoler
de Jean RACINE dans Iphig. III, 6
Je ne t'ai point aimé, cruel ? qu'ai-je donc fait ?
de Jean RACINE dans Andr. IV, 5
8
Femme qui n'écoute pas un amant.Venge-toi d'une ingrate et quitte une cruelle
de Pierre CORNEILLE dans Nicom. V, 1
Soulagez mon tourment, disais-je à ma cruelle ; Ma mort vous ferait perdre un amant si fidèle Qu'il n'en est point de tel en l'empire amoureux
de Jean de LA FONTAINE dans Poésies mêlées, XLV
Mon fils me parle de la grosse cousine d'une étrange façon ; il ne désire qu'une bonne cruelle pour le consoler un peu
de Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SÉVIGNÉ dans t. VII, p. 649, p. 17, dans POUGENS
Les cruelles ne me sont rien, Je ne crains que les infidèles
de Bernard le Bouyer de FONTENELLE dans Poésies past. Oeuvres, t. IV, p. 22, dans POUGENS
Ceux qui sont accablés des rigueurs d'une cruelle y viennent soupirer
Si elle vous nomme audacieux, vous l'appellerez cruelle ; les femmes aiment beaucoup qu'on les appelle cruelles
Sémantique : Familièrement. Ne pas trouver de cruelles, être toujours heureux en amour.
Jamais surintendant ne trouva de cruelles
de Nicolas BOILEAU-DESPRÉAUX dans Sat. VIII
Sémantique : Familièrement. Faire le cruel, se montrer dédaigneux à l'égard des femmes.
9
Nature : S. f. Cruelle, nom qu'on donne à de l'eau-de-vie rendue plus brûlante par l'addition de substances âcres.REMARQUE
1
1. On dit (les exemples rapportés le prouvent) être cruel à quelqu'un. Mais on dit aussi : être cruel envers quelqu'un.2
2. Il faut faire attention à la différence de sens que produit quelquefois la place de cruel : un homme cruel, c'est un homme qui a de la cruauté ; un cruel homme, c'est un homme insupportable.HISTORIQUE
1
XIIe s.Cruez hom est Rollant
dans Ronc. p. 20
Ja de crueul au desseure [dans le triomphe] N'orrés [vous n'ouirez] dire bon recort
dans Couci, IV
Ha ! douce riens cruels, tant mar [je] vous vi, Quant pour ma mort nasquites sans merci
dans ib. IX
Au mont [monde] n'a [il n'y a], voir, si cruel traïson Qu'un bel semblant et courage felon
dans ib. IX
Lors vous truis je [je vous trouve] cruel si durement
dans ib. X
Car tant est fors et crueus sa prisons
dans ib. XII
Mais j'ai de ce moult cruel avantage, Qu'il les m'esteut sur mon cuer obeir
dans ib. XI
Cele [ma dame] me fut crueus à l'acointier
dans ib. XX
Je chanterai, car plus ne m'en puis taire, Pour conforter ma cruel aventure
dans ib. p. 125
[Ils] Ne leur poïssent [pussent] faire un plus cruel cembel [combat]
dans Sax. IX
Si que li rois puist dire.... Qu'onc vers lui ne plaidierent si cruel aversaire
dans ib. XXX
2
XIIIe s.[Toi] Qui ainsi m'as traïe de traïson crual
dans Berte, XXVI
Tant cum Gauvains li bien apris Par sa cortoisie ot le pris, Autretant ot de blasme Keus Por ce qu'il fu fel et crueus
dans ib. 2106
Et por ce que lor espée esperituel est plus cruel que le [la] temporel, porce que l'ame y enquort, doivent moult garder cil qui l'ont en garde, qu'il n'en fierent sans reson
de Philippe de BEAUMANOIR dans XLVI, 11
3
XVe s.Les aucuns en donnent le droit de la guerre qui fut en ce temps si grande et si cruelle en Flandre
de Jean FROISSART dans II, II, 62
Le prince de Galles, qui estoit courageux et cruel comme un lyon, print ce jour grant plaisir à combattre et chacer ses ennemis
Tout homme armé doit estre par effect Crueulx devant, piteus après victoire
de Eustache DESCHAMPS dans Poésies mss. f° 109, dans LACURNE
4
XVIe s.Mais la cruelle, accoustumée à tromper son poursuivant, S'enfuit comme une fumée Qui se perd au gré du vent
de Pierre de RONSARD dans 549
Par trop cruel à son ennemy Sera rude à son amy
de Antoine LE ROUX DE LINCY dans Prov. t. II, p. 367
ÉTYMOLOGIE
1
Bourguig. crual, crouel ; provenç. cruzel, cruel ; espagn. cruel ; ital. crudele, du latin crudelis, dérivé de crudus. Dans l'ancien français au nominatif singulier cruels ou crueus pour les deux genres ; au régime cruel pour les deux genres ; au pluriel nominatif cruel pour les deux genres ; au régime cruels ou crueus. De cette forme cruels ou crueus, on avait tiré un adjectif irrégulièrement formé crueus, crueuse : De plus crueuse beste ne fu parole oïe, Berte, II ; En si crueuses batailles et si perilleuses, FROISS. I, I, 1.